31 mars 2023

Le bal des folles de Victoria Mas

1885. Eugénie Clery, jeune fille de bonne famille, a le don de voir les morts et de converser avec eux. Malheureusement, son père ne voit pas cela d'un très bon œil et pour éviter tout déshonneur décide de l'interner à la Salpêtrière dans le service des hystériques du professeur Charcot.

A son arrivée, des aliénées s'affairent à essayer des costumes. Elles sont toutes excitées car bientôt aura lieu le bal de la mi-carême où le Tout-Paris viendra les admirer.

Parmi elles, il y a Louise, une adolescente de 16 ans que son oncle a violée à 13 et Thérèse, une prostituée qui a poussé son proxénète, il y a 20 ans, dans la Seine et qui passe son temps à tricoter.

Geneviève Gleizes, l'infirmière intendante, qui voue un véritable culte au neurologue veille au grain. Cependant, celle qui d'ordinaire est cartésienne devient perplexe lorsqu'Eugénie évoque Blandine, sa soeur décédée.


Mon avis :

Saviez-vous que le mot "hystérie" venait d'un mot grec signifiant "utérus" ? Et qu'au XIXè siècle, pour soigner cette maladie "typiquement féminine", il suffisait simplement d'exercer une forte pression sur les ovaires ou d'insérer un fer chaud dans le vagin ?

Il ne faisait vraiment pas bon d'être une femme à cette époque. Si vous vouliez vous débarrasser de votre épouse ou de votre fille, il suffisait de l'accuser de comportement anormal pour pouvoir l'interner à la Salpêtrière avec la certitude qu'elle n'en sortirait jamais.

Après avoir été une prison puis un hospice, ce lieu est devenu un hôpital pour aliénées où l'éminent professeur Charcot, procédait une fois par semaine à une séance publique d'hypnose. Dans le roman, c'est Louise qui se prête à l'expérience. Celle-ci est fière d'avoir été choisie, ne se rendant même pas compte qu'elle n'est en fait qu'un objet de curiosité malsaine.

Le bal de la mi-carême où les patientes se déguisent et se maquillent est l'occasion lui aussi d'exhiber ces "folles" à tout le gratin parisien.

Basé sur des faits réels, "Le bal des folles" est le témoignage d'une époque que Victoria Mas a su très bien dépeindre. Elle y évoque de façon très documentée non seulement les balbutiements de la neurologie avec l'expérimentation notamment de l'hypnose pour déclencher des convultions, des crises d'épilepsie mais aussi les conditions désastreuses des femmes au XIXè.

C'est un livre poignant, émouvant, un véritable réquisitoire contre la toute puissance des hommes que je vous recommande chaudement.

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Publié chez Le livre de poche (N°36078) en 2021
Editeur d'origine : Albin Michel
Code ISBN : 978-2-253-10362-2

Note : ❤️❤️❤️❤️🧡

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27 mars 2023

Vers la beauté de David Foenkinos

Antoine Duris est embauché comme gardien au Musée d'Orsay. Il est affecté à la salle consacrée à l'exposition sur Modigliani. Ça tombe bien, il adore ce peintre et a même écrit une thèse sur lui. Toute la journée, il reste ainsi assis sur sa chaise à contempler et surveiller les œuvres, à renseigner les touristes qui cherchent les toilettes, à rectifier parfois les propos du guide.

Mathilde Mattel, la directrice des Ressources Humaines se pose des questions à son sujet. Elle ne comprend pas en effet pourquoi cet éminent professeur des Beaux-Arts de Lyon a tout quitté pour ce poste sous-qualifié.

En se liant d'amitié avec lui, Antoine finit par sortir de son mutisme et se confier d'abord sur sa rupture amoureuse puis sur sa rencontre avec Camille Perrotin.


Mon avis :

C'est l'histoire d'un homme qui s'est laissé submergé par un flot d'émotions intenses, un immense sentiment de culpabilité à cause notamment de cette jeune fille dont on pressent le destin dès la fin de la première partie.

Pour mieux se reconstruire, il décide de tout plaquer et de se réfugier dans la beauté de l'art. Passer ses journées à contempler les tableaux - notamment le portrait de Jeanne Hébuterne - à leur parler, l'apaise, lui apporte une sensation de plénitude, de satisfaction.

Camille, jeune fille introvertie, avait, elle, trouvé dans l'art un moyen de s'exprimer, de communiquer, d'exister jusqu'à ce traumatisme qui la plonge dans un état léthargique, dépressif. La rencontre avec Antoine lui redonnera goût à cette passion créatrice, dévoratrice qui lui permettra de s'extirper un temps de ce mal-être.

David Fœnkinos croit au pouvoir consolateur, réparateur de la beauté. Il est vrai que l'essence même de l'art est la recherche d'une certaine harmonie dans les proportions, les couleurs et que contempler une œuvre si parfaite peut nous apporter un peu de sérénité. J'avoue moi-même, que, lorsque je n'ai pas le moral, la vue d'un paysage (mer, forêt) me rassérène ou me revigore.

Mais je pense que l'art en soi ne suffit pas. Il a ses limites surtout lorsqu'il s'agit de traumatisme important. Camille a beau se donner dans la peinture, quand elle se retrouve confrontée à la source de cette profonde souffrance qui la ronge de l'intérieur, rien ne va plus. La réalité lui revient à la figure comme un boomerang.

Ce qui sauve Antoine, à mon avis, c'est surtout qu'il a su prendre ses distances, couper les ponts en partant de Lyon pour Paris où personne ne le connaissait, ne pouvait le juger. Il a su prendre du recul, s'entourer pour mieux affronter son passé ensuite.

Dans une écriture délicate, sensible, David Foenkinos aborde, à travers ces deux portraits, des sujets difficiles. Il pose aussi la question de l'utilité de l'art dans la vie de tous les jours.

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Publié chez Folio (N°6640) en 2019
Editeur d'origine : Gallimard
Code ISBN : 978-2-072-82442-5

Note : ❤️❤️❤️🤍🤍

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06 mars 2023

Lire les morts de Jacob Ross

Mickael "Digger" Digson est témoin du passage à tabac d'un jeune écolier. Au lieu de faire comme s'il n'avait rien vu et de s'enfuir, il se penche sur la victime pour lui porter assistance. Malheureusement le garçon est mort. Il est alors interpellé par la police.

Comme la précision de son témoignage a permis l'arrestation des coupables, le commissaire Chilman lui propose alors d'intégrer son équipe. Après quelques hésitations, il finit par accepter car il pourra ainsi en parallèle enquêter sur la mort de sa mère en 1969.

Deux ans après son entrée dans les forces de l'ordre, Digger est envoyé en Angleterre pour suivre une formation en sciences forensiques et être désormais apte à "lire les morts". A son retour Chilman est parti à la retraite. Celui-ci lui confie le dossier de Nathan qui le hante depuis longtemps et toujours non résolu. Il lui demande par ailleurs d'engager Melle Stanislaus pour l'aider.

Leurs investigations vont bientôt les mener à l'église baptiste spirituelle des Enfants de la Licorne, dirigée par le révérend Bello, guérisseur et devin.


Mon avis :

L'histoire se déroule sur l'île imaginaire de Camaho grandement inspirée de la Grenade dont Jacob Ross est originaire.

Derrière ce cadre paradisiaque où les effluves de rhum vous titillent les narines à tous les coins de rue, se cachent des réalités bien plus sordides. En effet, la société que Jacob Ross nous dépeint est empreinte de misère, de tensions sociales, de corruption. A cela s'ajoutent aussi le poids d'un passé colonial, l'emprise de l'église sur les habitants, la violence envers les femmes...

Le livre est donc très intéressant de ce point de vue sociologique. Par contre, au niveau de l'intrigue policière, j'ai été un peu déçue. Plusieurs enquêtes sont menées à la fois. On perd facilement le fil d'autant plus que ces enquêtes sont entrecoupées d'histoires personnelles.

Concernant l'écriture : une note du traducteur nous explique que l'auteur a fait la part belle dans les dialogues au créole anglais et que, dans la version française, le défi a donc été de restituer ces propos intraduisibles littéralement grâce à différents procédés. Je ne sais pas si l'esprit original du roman a été entièrement respecté, toujours est-il que l'utilisation de créole guadeloupéen / martiniquais répond bien à ce souci d'authenticité voulu par l'auteur. Sur le coup, cela peut déstabiliser mais on s'y habitue très vite et la lecture reste tout à fait compréhensible.

Un roman à découvrir surtout pour son ambiance tropicale pas aussi idyllique.

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Publié chez 10/18 (N°5713) en 2021
Éditeur d'origine : Sonatine Éditions
Titre original : The bone readers
Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau
Code ISBN : 978-2-264-07749-3

Note : ❤️❤️❤️🤍🤍

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03 mars 2023

No country for old men de Cormac McCarthy

4H du matin à la frontière entre le Texas et le Mexique.
Alors que Llewelyn Moss, ancien soldat aujourd'hui soudeur, part chasser l'antilope, il tombe sur une scène de carnage. Des véhicules ont été criblés de balles par des armes automatiques et des cadavres jonchent le sol. Bref, tout laisse penser à un règlement de comptes entre narcotrafiquants. D'ailleurs, en fouillant les lieux, il découvre des paquets de drogue et surtout une malette pleine de billets de cents dollars qu'il s'empresse de prendre.

En volant cet argent Moss a parfaitement conscience qu'il va se mettre à dos des gens peu recommandables. Et notamment Anton Chigurh, un tueur psychopathe que rien ne peut arrêter. Commence alors une incroyable chasse à l'homme dans laquelle le shérif Bell vieillissant, se retrouve complètement dépassé par les évènements.


Mon avis:

"No country for old men" est un road movie ultra violent. De ce paysage de désolation aux motels miteux, ça dégaine à tout va, ça pisse le sang. Et je vous épargne les scènes où Chigurg se sert d'un pistolet à air comprimé d'abattoir qui vous fait un joli petit trou au milieu du front.

La mission de ce tueur est de récupérer l'argent à tout prix. Peu importent les obstacles, les dommages collatéraux, il trace sa route. C'est un personnage froid, énigmatique, une sorte d'ange de la mort dénué de compassion qui parfois laisse le destin se décider à pile ou face. Autant vous dire qu'il vaut mieux tomber sur le bon côté de la pièce. On ne sait pas vraiment d'où il vient, pour qui il travaille. Une chose est sûre : à la fin, il n'en restera qu'un.

Le shérif Bell, lui, est impuissant face à ce déferlement de violence où l'utilisation d'armes est prépondérante. Il ne peut que constater les dégâts et nous faire part de son ressenti sur l'évolution de cette société qu'il ne reconnaît plus. Il en profite aussi pour revenir sur un évènement du passé qui le hante.

Aux descriptions hyper-réalistes, Cormac McCarthy propose une écriture brute, épurée. L'absence de tirets cadratins pour les dialogues peut rendre toutefois la lecture difficile.

⚠️ Attention ! Certaines scènes peuvent heurter les âmes sensibles.

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Publié chez Points (P1829) en 2009
Éditeur d'origine : Éditions de l'Olivier
Titre original : No country for old men
Traduit de l'anglais par François Hirsch
Code ISBN : 978-2-757-80722-4

Note : ❤️❤️❤️🤍🤍

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